Quand la compétence devient accessoire : chronique d’une kakistocratie ordinaire.

Il arrive que l’on observe, médusé, des décisions qui défient le bon sens : nominations improbables, orientations stratégiques incohérentes, choix qui semblent couper l’organisation de sa propre réalité. Et on se demande : comment en est-on arrivé là?

La réponse tient parfois en un mot : kakistocratie. Littéralement “le pouvoir des pires” (kakistos = le plus mauvais, kratos = pouvoir), ce terme, encore peu connu mais tristement évocateur, décrit ces organisations où l’incompétence n’est pas un accident mais un mode de fonctionnement. Les postes stratégiques ne vont pas nécessairement aux plus compétents, mais à ceux qui s’inscrivent le mieux dans les logiques internes : disponibilité immédiate, conformité aux attentes du moment ou maintien d’équilibres fragiles priment alors sur la compétence.

Quand l’incompétence s’installe

Dans certaines organisations, les promotions et les nominations ne reposent pas sur les compétences réelles, mais sur d’autres critères : l’entre-soi, la loyauté, la disponibilité immédiate, ou la volonté de préserver des équilibres fragiles. Résultat : la compétence passe au second plan.

D’ailleurs la chercheuse Isabelle Barth illustre ce mécanisme comme: la « trappe à compétents ». Les collaborateurs compétents, perçus comme exigeants ou porteurs de vision, se voient freinés dans leur progression, tandis que des profils plus « confortables » pour le système accèdent aux postes stratégiques.

Les conséquences sont lourdes : frustration, perte de sens, désengagement, climat de méfiance. Dans les cas les plus marqués, cela mène à de l’absentéisme, du burnout, voire à des vagues de départs.

L’incompétence : un tabou organisationnel

Paradoxalement, l’incompétence est un sujet dont tout le monde parle… mais rarement de manière directe. On l’évoque par fragments, comme un éléphant dans la pièce : on distingue une trompe ici, une patte là, sans jamais oser nommer la totalité du problème.

Pourtant, questionner la place de l’incompétence est essentiel. Non pas seulement pour la dénoncer, mais pour comprendre comment elle s’ancre et influence les cultures organisationnelles. Dans certains cas, elle révèle un mode de gouvernance essoufflé. Dans d’autres, elle souligne peut-être un besoin d’innovation et de remise en question.

Et maintenant?

Ce constat n’est pas une fatalité. Il ouvre au contraire un espace de reflexion et de discussion : sur les critères de légitimité, sur la place de la compétence et sur le rôle du leadership dans la création de valeur humaine autant qu’économique dans nos organisations.

Parce qu’au fond, ce n’est pas le titre qui fait grandir une organisation.
C’est la compétence, la vision et le courage de ceux qui osent l’incarner.

Et vous, dans vos organisations, comment voyez-vous la place de la compétence et du courage dans les décisions stratégiques? Est-ce un idéal… ou une nécessité urgente pour bâtir l’avenir?